This must be the place

7 Note générale

Imaginer Sean Penn en RockStar sur le déclin reste crédible. Maintenant, affublé de toute la panoplie gothique : cuir, Khôl… tout cela sur une démarche traînante et peu assurée, c’est un peu comme essayer de nettoyer la cuvette des W.C. dans le noir. On voit pas le fond, on sait pas où on va et on craint ce sur quoi (qui ?) on pourrait tomber… Au final sur du « pas dégueulasse du tout » !

Ayant fait l’erreur de me laisser bercer par les nombreuses critiques lues avant le visionnage, trottaient en moi des rengaines acides sur ce protagoniste décalé avec des termes tels que : embarrassant, agaçant, insupportable, débile mental, ado attardé… Mmmm… Ca donne envie !

Même l’extrait de la bande annonce semblait coïncider avec ces avis néfastes. Prenant mon courage à deux yeux, je me suis tout de même enfermée, avec d’autres victimes potentielles, dans une lugubre salle du 7ème art où je m’attendais à tout sauf au 7ème ciel. Et quel ne fut pas mon étonnement… On pourrait qualifier « This must be the place » de film entre deux genres. Il consiste, dans une première partie qui se passe en Irlande en une comédie douce-amère à la Stephen Frears pour s’élargir dans une seconde partie en un somptueux road-movie (cette fois-ci aux Etats-Unis). Venons-en à Cheyenne, donc Sean Penn qui, en pro qu’il se doit d’être, se révèle être un personnage bien plus complexe que l’espèce de Robert Smith (les références au chanteur pullulent) de pacotille auxquelles l’avaient assimilé les critiques acerbes.

En effet, la Rock-Star en question, sensible comme un pou sur la tête d’un leucémique, s’il a abusé des substances suspectes à notre ère, n’en reste pas moins un être posant sur le monde un regard plein d’intelligence, oscillant entre ironie et  amour du genre humain. La voix haut perché et le lipstick rouge sang deviennent alors les vecteurs de paroles pleines d’humour et de bon sens prononcées par ce vieux sage d’un nouveau genre. On retiendra des remarques comme par exemple : «  Avez-vous remarqué qu’aujourd’hui plus personne ne travaille, tout le monde fait une activité artistique. » face à un tatoueur soulignant que son métier est avant tout un art.

Car ce corbeau en chute libre nous réserve plusieurs surprises. Dans son autodestruction de rockstar, il est resté plutôt prudent, voire trouillard. Il n’a aucun tatouage, ce qui sort plutôt de l’ordinaire chez un tel personnage. Certainement parce qu’il a peur des seringues. Ainsi, s’il s’est héroïné à gogo, il en est resté à se poudrer le nez. Enfin, il n’a jamais fumé (de cigarettes donc) et est marié avec une femme pompier (pas pratique pour qui veut s’allumer une clope, elle a le bon réflexe). Cette dernière semble du reste gérer à la fois la maison et les états d’âmes de son drôle d’époux-ventail (jeu de mot facile mais ça lui va si bien…) traumatisé par le suicide de deux de ses jeunes fans. Pour en revenir à la cigarette, celle-ci se trouve être le symbole du passage de Cheyenne de l’enfance à l’âge adulte, ce qui a bien sûr réveillé l’intolérante ex-fumeuse que je suis et qui fera plaisir à tous les anti-hygiénistes. Mais un tel cliché m’a semblé plutôt déplorable, à tel point que j’ai supputé Sorrentino, à l’instar du réalisateur de « Basic instinct » et de tant d’autres, d’avoir reçu des fonds de la part de quelque lobby du tabac. Mis à part cet agacement pour une dangereuse facilité, je ne saurai trop vous conseiller d’aller voir ce film qui réserve de savoureux moments, comme le passage où Cheyenne accompagne un enfant à la guitare. Le gosse chante admirablement et c’est sur cette voix qu’on se retrouve porté à travers des paysages élargissant notre horizon visuel, allant du nouveau Mexique jusqu’à l’Utah, passant par les états magnifiques de cette Amérique autant conchiée que vénérée. En ce qui concerne la traque du nazi que menait le père de Cheyenne avant sa mort, but ultime de cette virée, celle-ci, au lieu de confiner au sordide, se révèle être une quête, non pas de la recherche de soi, pour cela il faudrait aller en Inde comme Cheyenne le fait justement remarquer à sa femme, mais de celle de la compréhension du rapport interfamilial, en l’occurrence père-fils, mais également grand-père petite-fille, dans le fait d’aimer ce bon vieil homme qui a été le bourreau des camps d’hier. Quête encore de l’abandon des craintes, comme cet enfant surmontant sa peur de l’eau, comme cet autre gosse blessé qu’incarne Sean Penn, qui à la fin, cessera de se cacher derrière son déguisement pour se montrer enfin nu, dans tout ce qu’il est. Quête enfin de la rédemption, et nudité à nouveau, cette fois-ci au sens propre, du vieux soldat nazi retrouvé, marchant dans la neige, vengeance post mortem du père de Cheyenne, rappel des corps flétris des camps de Pologne.

Une peur tout de même que Cheyenne ne surmontera pas : celle des piqûres. Vous n’aurez donc pas le plaisir de voir le héros se faire un shoot à la fin du film. Les lobbys afghans d’opium auront dû refuser de faire certains versements…

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